Le 7 avril 2022, une journée d’échanges et de réflexions a permis à de nombreux professionnels de DITEP et de MECS de prendre une bouffée d’oxygène…
S’extraire du quotidien pour y revenir autrement, mieux comprendre les problématiques de ces jeunes, enfants et adolescents, troublés et troublants, que nous tentons d’accompagner… Mais aussi évoquer le travail des professionnels de nos établissements, travail de l’ombre trop souvent méconnu et peu reconnu…
C’est dans cette optique que cette journée s’est déroulée avec la participation de groupes de professionnels de la MECS Rose Pelletier et du DITEP La Cordée qui, à travers l’élaboration d’écrits collectifs, ont pu faire part de situations et transmettre leurs expériences et questionnements au public présent sous l’égide, les commentaires, réflexions et développements de Mme Emmanuelle BONNEVILLE BARUCHEL.
Emmanuelle BONNEVILLE BARUCHEL est docteur en psychologie ; elle est maitre de conférences en psychopathologie et psychologie à l’université Lumière de Lyon 2 et exerce comme clinicienne au service de pédopsychiatrie du CHU de Saint-Etienne. Elle est l’auteur d’articles portant entre autres sur les maltraitances infantiles, particulièrement les traumatismes précoces, et la protection des enfants mais également d’un livre “Les Traumatismes relationnels précoces” (La vie de l’enfant – Eres, 2015).
La genèse de cette journée s’apparente à un long marathon. MECS et DITEP ont une proximité réelle et historique au regard du public accueilli. Lieux complémentaires mais aussi différents, ne serait-ce que par leur rattachement à une autorité de tutelle différenciée. Protection de l’enfance et médicosocial… Protection(s) et soin(s). Et pourtant, il s’agit parfois des mêmes enfants au parcours chaotique, cabossé, ayant pour certains, vécus des traumatismes relationnels précoces. MECS et DITEP au sein de l’ASRL… Des situations communes, des échanges de pratiques autour de ces enfants et adolescents « troublés et troublants », agités et déboussolants, qui provoquent parfois tant de désarroi chez les professionnels qui tentent de les accompagner…
L’expression par la violence est une caractéristique très prégnante chez les enfants accompagnés. Elle peut être modélisée sous trois formes :
- La violence sadique: individuelle, pas spécifiquement destinée à une personne (objets, animaux). L’enfant n’est pas en mesure de ressentir de la culpabilité car il n’a pas développé de sentiment d’empathie.
- La crise de violence
Elle peut survenir sans raison apparente souvent en groupe avec proximité physique des autres. Les « exigences » éducatives peuvent déclencher un sentiment de persécution (ce sont les situations de négligence antérieures qui entrainent ce comportement).
Lors de ces crises psychopathologiques, le jeune est “hors de lui” et cet état peut durer longtemps. Les crises surviennent quand une image de persécuteur survient (phénomène d’identification, avec la voix et le regard qui changent comme s’ils étaient « habités »). Les crises de violence s’apparentent à des modes de défense archaïque, des moyens de survie pour se protéger. Il y a parfois déconnexion avec leur réalité interne et externe, ils ne sont plus capables de distinguer le présent et le passé et ne voient plus l’adulte bienveillant face à eux. C’est une violence qui s’adresse à l’agresseur du passé que l’autre incarne.
Pour limiter ces états de débordements, il faut pouvoir proposer à ces enfants des substitutions (par exemple en classe utiliser un paravent pour qu’ils se sentent protégés des stimuli de l’intérieur et de l’extérieur).
Il est très important de travailler le cadre et les contenants externes :
- Lieux, espaces ou pièce d’apaisement,
- Support d’emploi du temps cadrant et repéré pour chaque enfant (à réaliser en équipe),
- Définir ce qui est autorisé et ce qui est interdit en incluant les sanctions prévues,
- Décliner les réparations possibles. Le jeune doit être accompagné dans cette démarche de réparation (Qu’est ce qui s’est passé ? Etc.). La sanction doit inciter à penser à l’acte commis.
Ces jeunes ont des difficultés à se séparer car ils ne connaissent que la rupture. Cela demande du temps (importance des organisations en petits groupes, des rituels, des emplois du temps échelonnés, des moments de transition…).
- L’auto-violence
Dans ce cas, il y a une forme d’auto-sabotage par attaque de toute relation d’aide. On assiste alors à des violences contre soi (scarifications, menaces de suicide…) liées aux carences à se représenter et partager ses expériences relationnelles et émotionnelles. Pour résumer, il s’agit de “se faire mal physiquement pour avoir moins mal psychiquement”. La violence contre soi est aussi un moyen de soulager ses sentiments de culpabilité. L’enfant ayant vécu des interactions violentes, il aura tendance à reproduire ces situations, sans en avoir conscience.
Quelques éléments d’accompagnement des professionnels issus des réflexions de cette journée:
Ces enfants sont très complexes à accompagner. La question de la temporalité et de la patience sont importantes, comme de la présence de professionnels formés, suffisamment nombreux et diversifiés. Parfois les progrès et évolutions peuvent se montrer ailleurs que dans l’institution (en classe, chez un partenaire…).
Accueillir un jeune c’est accompagner le groupe de professionnels et prendre en compte les affects car personne ne peut tenir longtemps dans la relation avec ces enfants. Il faut travailler sur l’enveloppe groupale. C’est ce qu’on nomme la Méta-garance (dispositif de groupe favorisant la contenance des émotions de tous les professionnels impliqués à l’image des groupes de supervision et d’analyse des pratiques).
Les professionnels sont les plus exposés. Ils sont en effet pris inconsciemment dans un idéal : réparer/soigner à tout prix, devoir sauver, alors que ces enfants sont très “abîmés” et/ou dans le refus de soin. Il y a une forme de renoncement, d’effet de déception de l’idéal professionnel difficiles à vivre (attention aux risques de Burn out)
Ces situations difficiles d’accompagnement au quotidien peuvent envahir les professionnels ; ce qui peut nuire à leur capacité de penser et de se distancier lors d’une situation de violence d’un enfant. Cette répétition est contagieuse s’il n’y a pas de travail d’élaboration entre professionnels.
Il faut pouvoir lâcher ses représentations habituelles et être réactif, se rappeler que ces enfants n’ont pas bénéficié de réponses non violentes (absence d’aide précoce et de modèles rassurants dans leur petite enfance). Ils n’ont pas l’âge de développement émotionnel correspondant à leur âge biologique. Il convient de se rappeler le principe de l’âge de développement (Jean PIAGET).
- Aider le jeune à formuler ce qui se passe en lui et ce qui s’est déroulé en se référant à notre fonction (désamorcer le risque de spirale de la violence).
- Aider le jeune à identifier que l’origine de ses comportements s’apparente à de la détresse et à un appel à l’aide.
- Favoriser l’apaisement du jeune.
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Pour en savoir plus, contactez Gioacchino Dello Spedale, Directeur du Dispositif ITEP La Cordée.